Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur de Harper Lee

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Ayant rejoint ma PAL récemment, j’ai entrepris la lecture de Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur de Harper Lee en plein mouvement Black Lives Matter aux Etats-Unis. Ce roman régulièrement étudié au lycée aux Etats-Unis se déroule pendant la Grande Dépression, pendant les années 30 en Alabama. Scout, la narratrice, est une petite fille de 7 ans, bagarreuse mais très bien instruite. Elle et son frère ainé Jem sont élevés par leur père Atticus Finch, avocat, avec l’aide de leur gouvernante Calpurnia.

Le roman se déroule sur trois années, dont un grand évènement marque la majorité du livre : Atticus est commis d’office pour défendre un Noir présumé coupable du viol d’une Blanche.

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La narration par Scout permet un regard innocent sur l’environnement qui l’entoure. Et en même temps, les paroles des adultes sont retranscrites telles quelles, ce qui aident au lecteur à comprendre le contexte dont Scout ne voit pas toutes les subtilités. On y parle de sujets tabous tels la ségrégation, la place des femmes dans la société, l’éducation ou la pauvreté.

Pour aider à l’éducation des enfants, la tante Alexandra, soeur d’Atticus, décide d’emménager à la maison et de commencer la formation de la jeune Scout à devenir une dame. Or Scout est renfrognée et caractérielle, hors de question !

Le problème de mes vêtements rendait tante Alexandra fanatique. Je ne pourrais jamais être une dame si je portais des pantalons ; quand j’objectai que je ne pourrai rien faire en robe, elle répliqua que je n’étais pas censée faire des choses nécessitant un pantalon. La conception qu’avait tante Alexandra de mon maintien impliquait que je joue avec des fourneaux miniatures, des services à thé de poupées, que je porte le collier qu’elle m’avait offert à ma naissance – auquel on ajoutait peu à peu des perles ; il fallait en outre que je sois le rayon de soleil qui éclairait la vie solitaire de mon père. Je fis valoir qu’on pouvait aussi être un rayon de soleil en pantalon, mais Tatie affirma qu’il fallait se comporter en rayon de soleil, or, malgré mon bon fond, je me conduisais de plus en plus mal d’année en année.

Régulièrement on entend de la bouche des enfants des propos racistes qui malheureusement leur ont été transmis par les adultes. Alors que son père n’a jamais eu ce type de discours, Scout répète ce qu’elle entend à l’école par les autres enfants.

Le passage suivant est l’échange le plus houleux que Scout entretient avec son cousin Francis. Alors que Francis évoquait au départ une idée assez moderne du rôle des hommes dans le foyer, il jette à la figure de Scout que son père est la honte de la famille à cause de ses fréquentations. S’en est suivie une bonne bagarre où la jeune Scout a mis la raclée à son cousin, sans vraiment avoir compris la totalité de ses propos.

– Je n’ai jamais aussi bien mangé, dis-je.
– Grand-mère est une cuisinière fantastique. Elle va m’apprendre.
– Les garçons font pas la cuisine.
Je gloussai en imaginant Jem avec un tablier.
– Grand-mère dit que tous les hommes devraient apprendre à faire la cuisine, qu’ils devraient se montrer attentionnés avec leurs épouses et veiller sur elles quand elles ne se sentent pas bien, dit mon cousin.
– Je ne veux pas que Dill veille sur moi. Je préfèrerais m’occuper de lui.
– Dill ?
– Ouais. Ne le dis à personne, mais on va se marier dès qu’on sera assez grands. Il me l’a demandé cet été.
Francis s’esclaffa.
– Et alors ? demandai-je. Il a quelque chose qui te plaît pas ?
– Tu parles de ce petit avorton qui, d’après Grand-Mère, passe tous les étés chez Miss Rachel ?
– Parfaitement ! (…)
– Si oncle Atticus te laisse jouer avec les chiens errants, ça le regarde, comme dit Grand-mère, et c’est donc pas ta faute. J’imagine que c’est pas ta faute non plus s’il aime les nègres, mais j’aime mieux te dire que toute la famille en est mortifiée…
– Francis, que diable racontes-tu ?
– Tu as très bien compris. Grand-mère dit que c’est déjà assez grave de vous laisser devenir des sauvageons, mais que si, maintenant, il se transforme en ami des nègres, on ne pourra plus se montrer dans la rue à Maycomb. Il est en train de nuire à toute la famille, figure-toi.

Atticus s’inquiète pour ses enfants concernant son rôle dans le procès et leur demande de ne pas prendre part aux conversations autour d’eux. Il leur apprend particulièrement à se mettre à la place de l’autre et à essayer de comprendre comment ils en sont arriver à de tels raisonnements. Ce comportement les rendent plus matures et moins sensibles à la critique, bien que cela soit très difficile quand on a 7 ans…

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Le procès est passionnant et en particulier grâce à sa double lecture. Il y a d’abord  les réflexions de Scout qui assiste au procès, et ensuite la retranscription exacte des propos des deux avocats qui permettent de voir le travail de défense impressionnant d’Atticus. J’ai relevé les derniers paragraphes de sa plaidoirie sur l’égalité des Hommes, entre la théorie et la pratique.

– Encore un mot, messieurs les jurés, et j’en aurai terminé. Thomas Jefferson a dit un jour que tous les hommes naissaient égaux, phrase dont les Yankees et la dame de la Présidence à Washington aiment à nous rebattre les oreilles. Certaines personnes ont tendance, en cet an de grâce 1935, à utiliser cette phrase en la sortant de son contexte pour satisfaire tout le monde. L’exemple le plus ridicule que je connaisse est que les gens qui dirigent le système scolaire encouragent de la même façon les idiots et les paresseux d’une part et ceux qui travaillent de l’autre. Puisque tous les hommes sont nés égaux, vous diront gravement les enseignants, les enfants qui ne suivent pas souffrent d’un terrible sentiment d’infériorité. Nous savons que tous les hommes ne naissent pas égaux au sens où certains voudraient nous le faire croire – certains sont plus intelligents que d’autres, certains ont plus de chances parce qu’ils sont nés ainsi, certains hommes gagnent plus d’argent que d’autres, certaines femmes font de meilleurs gâteaux que d’autres -, certains sont plus doués que la moyenne.
Mais ce pays met en application l’idée que tous les hommes naissent égaux dans une institution humaine qui fait pauvre l’égal d’un Rockefeller, du crétin l’égal d’Einstein, et de l’ignorant l’égal de n’importe quel directeur de lycée. Cette institution, messieurs les jurés, c’est le tribunal. Qu’il s’agisse de la Cour suprême des Etats-Unis ou du plus humble juge de paix du pays, ou de cette honorable cour où vous siégez. Nos tribunaux ont leurs défauts, comme toutes les institutions humaines mais, dans ce pays, ils font office de grands égalisateurs puisque tous les hommes y sont nés égaux.

Et pour finir une dernière citation où Jem parle du choix du non port d’arme de son père à Scout. Une remarque qui devrait faire écho avec la position actuelle du Président des Etats-Unis face aux armes.

– Tu sais bien qu’il ne veut pas porter d’arme, Scout (…) Il m’a dit qu’avoir une arme était une incitation à se faire tirer dessus.

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Ce roman, se rapprochant fortement d’une autobiographie de l’auteure, sans en être une est aujourd’hui encore terriblement d’actualité. La plupart des sujets ci-dessus sont encore et toujours en débat. Certaines valeurs morales ont traversé les décennies et sont tenaces. L’ignorance et le manque d’ouverture d’esprit font du racisme une réalité encore actuelle. Certains mouvements dans les Etats du Sud ont d’ailleurs tenter de censurer l’étude de ce roman à l’école car qualifié blasphématoire et raciste (emploi du mot « nègre »).

S’il a été rapproché à ce roman de dépeindre trop facilement le bien contre le mal, on peut voir grâce à certains personnages qu’il y a une différence entre ce que l’on pense savoir des personnes et ce qu’il en est réellement.

Une très bonne lecture culturelle et engagée que je recommande ! J’ai adoré le personnage de Scout, drôle malgré elle. Et aussi la jolie façon dont est abordé le passage vers l’adolescence de Jem, qui est un grand frère exemplaire.

 

Lu dans le cadre du Challenge – Quand la BBC parle de livres

Images issues du film Du silence et des ombres (1962) de Robert Mulligan

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