En attendant Godot de Samuel Beckett

Dans le cadre du Challenge Retour à l’école, je me suis lancée dans la lecture (ou relecture) de classiques étudiés à l’école. J’ai rapatrié tous mes livres d’école de ma maison d’enfance à chez moi et j’ai simplement commencé par le premier de la pile : En attendant Godot de Samuel Beckett.

Il s’agit d’une pièce de théâtre relativement récente puisque Samuel Beckett l’a écrite en 1953. Cet Irlandais ayant vécu un temps à Paris, met en scène deux protagonistes Vladimir et Estragon qui attendent Godot quelque part en France. Il n’y aura pas plus d’indication sur la localisation, ni sur qui est Godot.

J’ai d’abord été très surprise par le ton de l’humour absurde dès le départ. Moi qui m’attendais à un classique au ton sérieux… Je préfère ça ! Pendant plusieurs minutes, Estragon et Vladimir (Gogo et Didi pour les intimes) débattent de la douleur aux pieds que procurent les chaussures d’Estragon.

VLADIMIR. – Qu’est-ce que tu fais ?
ESTRAGON. – Je me déchausse. Ça ne t’est jamais arrivé, à toi ?
VLADIMIR.
– Depuis le temps que je te dis qu’il faut les enlever tous les jours. Tu ferais mieux de m’écouter.
ESTRAGON (faiblement). – Aide-moi !
VLADIMIR.
– Tu as mal ?
ESTRAGON. – Mal ! Il me demande si j’ai mal !
VLADIMIR (avec emportement). – Il n’y a jamais que toi qui souffres ! Moi je ne compte pas. Je voudrais pourtant te voir à ma place. Tu m’en dirais des nouvelles.
ESTRAGON. – Tu as eu mal ?
VLADIMIR. – Mal ! Il me demande si j’ai eu mal !
ESTRAGON (pointant l’index). – Ce n’est pas une raison pur ne pas te boutonner.

Pendant toute la pièce, on passe d’un sujet à un autre sans transition. Parfois on y revient. On diverge. On s’égare. L’humour absurde est ainsi construit sur des conversations non-intéressantes mais qui permettent de passer le temps.

"En attendant Godot", Edinburgh International Festival 2018, Lyceum Theatre
« En attendant Godot », Edinburgh International Festival 2018, Lyceum Theatre

L’ennui est tel que Gogo (Gadget ? désolé je n’ai pas pu m’en empêcher) et Didi pensent à se pendre. Et à plusieurs reprises. L’attente est-elle une fatalité ?

VLADIMIR. – Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
ESTRAGON. – On attend.
VLADIMIR.
– Oui, mais en attendant ?
ESTRAGON. – Et si on se pendait ?
VLADIMIR. – Ce serait un moyen de bander.
ESTRAGON (aguiché). – On bande ?
VLADIMIR. – Avec tout ce qui s’ensuit. Là où ça tombe il pousse des mandragores. C’est pour ça qu’elles crient quand on les arrache. Tu ne savais pas ça ?
ESTRAGON. – Pendons-nous tout de suite.
VLADIMIR. – A une branche ? (Ils s’approchent de l’arbre et le regardent.) Je n’aurais pas confiance.
ESTRAGON. – On peut toujours essayer.
VLADIMIR. – Essaie.
ESTRAGON. – Après toi.
VLADIMIR. – Mais non, toi d’abord.
ESTRAGON. – Pourquoi ?
VLADIMIR. – Tu pèses moins lourd que moi.
ESTRAGON. – Justement.
VLADIMIR. – Je ne comprends pas.
ESTRAGON. – Mais réfléchis un peu, voyons
Vladimir réfléchit.
VLADIMIR
(finalement). – Je ne comprends pas.
ESTRAGON. – Je vais t’expliquer. (Il réfléchit.) La branche… la branche… (Avec colère.) Mais essaie donc de comprendre !
VLADIMIR. – Je ne compte plus que sur toi.
ESTRAGON (avec effort). – Gogo léger – branche pas casser – Gogo mort. Didi lourd – branche casser – Didi seul. (Un temps.) Tandis que… (Il cherche l’expression juste.)
VLADIMIR. – Je n’avais pas pensé à ça.
ESTRAGON (ayant trouvé). – Qui peut le plus peut le moins.

L’arrivée ensuite de deux nouveaux personnages Pozzo et Lucky m’ont cassé la drôlerie de la pièce, bien qu’elle agrémente la conversation. Pozzo tient en laisse Lucky par une corde accrochée autour du cou, le maltraitant et l’humiliant. J’ai eu du mal à prendre du recul sur ces personnages de maître et esclave. Je trouve en plus qu’ils n’étaient pas spécialement nécessaires à l’histoire. Nos deux acolytes se suffisent à eux-mêmes.

Samuel Beckett: Waiting for Godot in Paris

Plus loin dans la pièce, on revient au sujet des chaussures (qui restent mon préféré).

VLADIMIR. – Si tu les essayais ?
Estragon. – J’ai tout essayé.
VLADIMIR. – Je veux dire, les chaussures.
ESTRAGON. – Tu crois ?
VLADIMIR. – Ça fera passer le temps. (Estragon hésite.) Je t’assure, ça sera une diversion.
ESTRAGON. – Un délassement.
VLADIMIR. – Une distraction.
ESTRAGON. – Un délassement.
VLADIMIR. – Essaie.
ESTRAGON. – Tu m’aideras ?
VLADIMIR. – Bien sûr.
ESTRAGON. – On ne se débrouille pas trop mal, hein, Didi, tous les deux ensemble ?
VLADIMIR.
– Mais oui, mais oui. Allez, on va essayer la gauche d’abord.
ESTRAGON. – On trouve toujours quelque chose, hein Didi, pour nous donner l’impression d’exister ?
VLADIMIR (impatiemment). – Mais oui, mais oui, on est des magiciens. Mais ne nous laissons pas détourner de ce que nous avons résolu. (Il ramasse une chaussure.) Viens, donne ton pied. (Estragon s’approche de lui, lève le pied.) L’autre, porc ! (Estragon lève l’autre pied.) Plus haut ! (Les corps emmêlés, ils titubent à travers la scène. Vladimir réussit finalement à lui mettre la chaussure.) Essaie de marcher. (Estragon marche.) Alors ?
ESTRAGON.
– Elle me va.

Gogo et Didi se complètent régulièrement les phrases, transformant la conversation comme une seule et unique phrase crée à deux.

Qu’attendent-ils finalement ? Ils cherchent à se donner une existence (comme dans le passage ci-dessus)? Sans sens à leur existence, la mort est-elle la solution (comme dans le 1er extrait) ? Il n’y a pas de notion du temps dans cette pièce. Combien de temps attendent-ils ? Sommes-nous le jour, la nuit ? Où sommes-nous ? Cette pièce ne s’inscrit dans aucun cadre spatio-temporel ce qui en fait sa particularité.

Cette pièce minimaliste doit beaucoup au choix des acteurs et à la mise en scène pour être certain que le second degré passe bien. Un duo sympathique, bien que légèrement gâché par les autres personnages qui n’étaient pas primordiales.

Une réflexion sur “En attendant Godot de Samuel Beckett

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