Call me by your name de André Aciman

call me by your name

J’ai vu Call me by your name à sa sortie au cinéma en 2017. J’ai eu un coup de coeur pour le cadre, les acteurs (Timothée Chalamet et Armie Hammer) et l’histoire évidemment. Elio, américano-italien de 17 ans passe ses vacances d’été sur la côte italienne avec ses parents. Son père, grand professeur, invite tous les ans un étudiant afin de l’assister dans l’élaboration de sa thèse. C’est ainsi qu’Elio rencontre Oliver, un étudiant américain de 24 ans, beau, désinvolte et charmeur.

L’écriture est d’abord surprenante. Il n’y a pas de chapitre. Les phrases sont immenses et font des paragraphes entier à elles-seuls. C’est un bloc complet de pensées et de successions de souvenirs de ces vacances en Italie. Il n’y a pas forcément de lien logique entre les passages, Comme s’il mettait ses pensées par écrit en passant d’un souvenir à un autre de façon instantanée. Cela donne à cet écrit une notion orale. On entend le conteur raconter l’histoire.

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Ce qui ressort assez rapidement est une sensibilité et une poésie naturelle sur le moment présent. Ce que va vivre Elio pendant cet été est une palette des sentiments que l’on ressent lorsque l’on tombe amoureux. Il se projette beaucoup, imagine les scènes qui pourraient se produire avec Oliver. Il l’imagine venant dans sa chambre la nuit.

Tout ce que je désirais chaque nuit c’était l’entendre sortir de sa chambre, non par la porte du palier mais par la porte-fenêtre qui donnait sur notre balcon. Je voulais entendre celle-ci s’ouvrir, entendre ses espadrilles sur le balcon, puis le bruit de ma propre porte-fenêtre qui n’était jamais complètement fermée, lorsqu’il la pousserait et entrerait dans ma chambre après que tous les autres seraient allés se coucher, et il se glissera sous mon drap, me dévêtirait sans un mot, et après m’avoir amené à le désirer plus qu’il ne me semblerait que je désirerais jamais un autre être humain, très doucement et avec l’affection qu’un Juif témoigne à un autre Juif, pénétrerait en moi, très doucement, après avoir entendu les mots que je me répétais depuis des jours : « S’il-te-plaît, ne me fais pas mal », qui signifiaient, fais moi aussi mal que tu veux.

Le début du désir se crée également par le cadre idyllique italien. La dolce vita italienne. Une ambiance particulière. C’est aussi là qu’un jeu d’observation commence.

Il s’était d’abord installé à ma table, mais il prit l’habitude d’étaler un grand drap sur la pelouse et de s’y étendre, parmi les feuillets de son manuscrit et ce qu’il aimait appeler ses « affaires » : verre de citronnade, crème solaire, livres, espadrilles, lunettes de soleil, stylos de différentes couleurs, et cassettes, qu’il s’écoutait avec un casque, si bien qu’il était impossible de lui parler s’il ne vous parlait pas d’abord. Parfois, quand je descendais de ma chambre le matin avec mes partitions ou des livres, il était déjà vautré là au soleil, en maillot de bain rouge ou jaune, en sueur. On allait courir ou nager, et au retour le petit déjeuner nous attendait. Puis il prit l’habitude de laisser ses affaires sur la pelouse et de s’étendre sur le bord carrelé de la piscine – un endroit nommé « paradis »(…)

Et nous voici avec la fameuse histoire du maillot de bain. Elio associe la couleur des maillots de bain d’Oliver à des facettes de sa personnalité. Le maillot de bain revient régulièrement et devient un objet fétiche.

  • Rouge : hardi, assuré, très adulte, presque bourru et maussade – rester à l’écart
  • Jaune : vif, enjoué, drôle, non dénué d’ironie parfois mordante – ne pas s’abandonner trop vite à la confiance
  • Vert : qu’il portait rarement : plein de bonnes volonté, désireux d’apprendre, de parler, cordial – pourquoi n’était-il pas toujours comme ça ?
  • Bleu : l’après-midi où il était entré dans ma chambre par le balcon, le jour où il m’avait massé l’épaule, ou lorsqu’il avait ramassé mon verre et l’avait posé juste à côté de moi

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Elio a reçu une éducation très ouverte. Alors que rien ne lui est interdit, il est finalement un garçon bien sage, ce que lui reproche son amie Chiara. Pas d’heure limite pour aller au lit, pas de règles, pas de surveillance, rien contre quoi se rebeller. Cette ouverture d’esprit dans sa famille permet à Elio de s’exprimer facilement quant à son aventure avec Marzia, leur voisine. Il raconte même à son père qu’hier soir « ils l’ont presque fait ».

La poésie de ce roman se fait grâce aux fantasmes d’Elio, quand il s’imagine des films avec Oliver. C’est à la fois un moyen de s’évader, de maitriser cette relation et en même temps une peine inconsolable voire de la colère lorsque cela ne se produit pas. Avec cette écriture, on se perd parfois entre ses rêves et la réalité, mais finalement n’est-ce pas ce qui lui arrive aussi ?

Le père est une personne très intéressante bien que peu exploitée dans le livre, il est plus présent dans le film. Ce passage sur la réflexion de la destinée qu’il explique à Oliver est touchant. Un discours fort lorsque l’on connait ce qu’il va arriver à  chacun par la suite.

C’est parce que tu me vois comme un personnage, pas comme une personne réelle. Pis encore : comme un personnage plus très jeune. Mais il y en a eu. Des erreurs de parcours, c’est-à-dire. Chacun passe par des moments de traviamento – lorsqu’on prend, disons, un chemin différent dans la vie, l’autre via. Dante lui-même l’a fait. Certains s’en remettent d’autres feignent de s’en remettre, certains n’en reviennent jamais, certains se dégonflent avant même de commencer, et d’autres par peur de s’écarter de la route, finissent par mener toute leur vie une existence qui ne leur convient pas.

D’ailleurs je profite de ce passage pour déclarer ma flamme à la langue italienne. Elle est très présente dans le livre et participe grandement à ce dépaysement. Sans vraiment toujours avoir la traduction exacte, la sonorité rend le passage poétique et envoutant. Ce roman m’a mise dans une tendre mélancolie de mes vacances en Italie étant enfant. C’est un livre qui sent la chaleur et la moiteur des jours d’été avec les cigales en fond sonore.

J’aimais surtout les après-midis : le parfum du romarin, la chaleur, les oiseaux, les cigales, le mouvement des feuilles de palmier dans la brise, le silence qui tombait comme un léger châle de soie sur un jour incroyablement lumineux, autant de plaisirs encore rehaussés par la brève marche vers le rivage puis la remontée vers les chambres pour la douche. J’aimais regarder notre maison du court de tennis et voir les balcons vides baignés de soleil, sachant que de n’importe lequel d’entre eux, dont le mien, on pouvait voir la mer infinie.

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Si Elio est en perte de ses moyens avec Oliver, il devient un garçon avec beaucoup plus de confiance en lui lorsqu’il est avec Marzia.

Je voulais la regarder dans les yeux tandis qu’elle me tenait dans sa main, lui dire qu’il y avait longtemps que j’avais envie de l’embrasser, dire quelque chose pour montrer que celui qui l’avait appelée ce soir et était passé la prendre chez elle n’était plus le même garçon froid, sans vie – mais elle me coupa :
« Baciami ancora, embrasse-moi encore. »

Pour Elio, être avec Marzia et Oliver en même temps, est comme aller chez le boucher et le boulanger. On ne va pas y chercher la même chose. L’évolution de sa relation avec Oliver le dégoute parfois. Sans jamais en prononcer le nom, il se pose des questions sur sa sexualité, sur son homosexualité. Elio est perdu entre désir et rejet, entre coeur et raison. Les sentiments s’entremêlent et se transforment à une rapidité extrême.

C’est la qualité éphémère de ces moments qui les rendent aussi beaux et intenses. 

Je voulais qu’il n’y eût aucun secret, aucun écran, rien entre nous. Je ne me doutais guère que si j’adorais l’élan de candeur qui nous liait plus étroitement chaque fois que nous affirmions mon corps est ton corps, c’était aussi parce que je prenais plaisir à rallumer le petit fanal de honte secrète qui projetait une faible lueur précisément là où une partie de moi-même eût préféré l’obscurité. La honte suscitait aussitôt l’intimité. Celle-ci pourrait-elle subsister quand l’indécence serait épuisée et que nos corps seraient à court de stratagèmes ? (…) 
Tout ce que je savais c’est que je n’avais plus rien à lui cacher. Je ne m’étais jamais senti plus libre ou plus confiant.

« Call me by your name and I’ll call you by mine » pour ne faire qu’un.

Je ne sais pas si j’aurais autant apprécié ma lecture si je n’avais pas vu le film car je voyais très nettement les acteurs et les lieux. Quelques petites modifications lors de l’adaptation comme la petite voisine Vimini, atteinte de leucémie, qui n’est pas présente dans le film ou la fin du livre qui a été complètement tronquée dans le film. Mais la fin n’apporte pas plus finalement, exceptée la dernière phrase.

Un énorme coup de coeur pour ce roman !

 

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Petit bonus avec le maillot de bain jaune 😉

10 réflexions sur “Call me by your name de André Aciman

  1. Alberte Bly dit :

    J’avais lu et adoré ce livre l’été dernier. Il m’évoque vraiment un doux parfum d’Italie! Si tu as des livres avec une ambiance similaire pour cet été je suis 200% preneuse 😀

    Très chouette article, tu résumes bien la beauté de ce courtype roman qui détonne un peu dans la production contemporaine!

    Contente d’avoir découvert un nouveau blog litteraire *.*

    A très bientôt sur la blogo du coup 🙂

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    • cledelintrigue dit :

      Oooh moi aussi j’aimerais beaucoup trouver une ambiance similaire ! Il y a la suite aussi qui est sorti l’année dernière et qui s’appelle Find Me. Je ne crois pas qu’il a encore été traduit.
      A très bientôt !

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  2. Darkangel046 dit :

    Coucou ! 🙂
    Je ne savais pas qu’il y avait un livre ! Je l’ai découvert sur mon fil d’actu Livraddict ! De plus ton avis m’a fortement donnée envie de le lire merci pour la découverte ! 🙂
    Le film m’a fait l’effet d’un pétard mouillé, je l’ai vu pour la première fois il y a quelques jours et au vu des critiques et avis j’en ai trop attendu, j’ai adoré mon visionnage mais je l’avais tellement mis sur un piédestal que j’ai été un peu déçue :/ (le pire c’est que c’est pas la première fois :x)
    Le livre à l’air beaucoup plus détaillé (comme presque à chaque fois) et très poétique, je pense que je vais beaucoup aimer ^^ Et cela ma permettra de me plonger en Italie car de mémoire je n’ai pas lu de livre se déroulant dans ce pays ^^
    Bonne journée ! 😀

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    • cledelintrigue dit :

      Je peux comprendre tout à fait ton ressenti. C’est une histoire très lente finalement sans véritable action. Et pourtant il se dégage une ambiance très particulière. J’ai vu le film sans savoir à quoi m’attendre et j’ai complètement accroché. Peut-être que le livre te plaira plus !
      Aaaah l’Italie ❤
      Très bonne journée

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  3. Zofia dit :

    Très bel article, on y plonge !
    J’avais envie de voir le film, je ne savais pas que ça avait été adapté. Par contre, les extraits que tu proposes sont supers mais je ne sais pas si le style d’écriture me plairait sur tout le livre… les longues phrases, j’ai parfois un peu de mal. C’est un gros livre ?

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    • cledelintrigue dit :

      Environ 300 pages. Je l’ai lu en 3 jours tellement j’ai été plongée dedans ! Par contre je l’ai commencé deux fois. La première fois je n’arrivais pas avec ces longues phrases et je n’étais pas dans l’ambiance. Ma 2e tentative était fabuleuse 😉

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