L’Amant de Marguerite Duras

J’ai enfin trouvé une librairie à Londres qui proposait des romans français ! Après 6 mois il était temps. Evidemment beaucoup de classique dont L’Amant de Marguerite Duras sur lequel j’ai eu un déclic. J’ai déjà vu le film de Jean-Jacques Annaud de 1992 qui m’avait troublé mais dont l’ambiance si unique m’avait marqué et je souhaitais y retourner par la lecture.

Marguerite Duras se replonge dans sa jeunesse et un jour en particulier, lors de la traversée du fleuve où elle rencontra « le Chinois ». Nous sommes en Indochine, dans les années 30. La jeune blanche de 15 ans se trouve sur un bac traversant le Mekong. Elle porte une robe clair, tellement usée qu’elle en devient transparente. Une ceinture d’homme lui souligne la taille. Sur sa tête un feutre d’homme dont deux nattes sortent de chaque côté. Elle s’est poudrée les joues et a mis du rouge à ses lèvres. Elle contemple le paysage, appuyée à la rambarde, tandis qu’il l’observe depuis sa limousine noire. Cette journée la changera à jamais, cette rencontre.

Le rythme est lent et mélancolique. C’est de la poésie, de la prose. On se croirait tellement sur ce bateau, à humer les parfums de l’Indochine, les vêtements collant par la moiteur de la saison. L’histoire est troublante car ce sont les premiers émois d’une fille de 15 ans, qui découvre son corps, dans les bras d’un riche chinois, parfaitement conscient de jeune âge de la fille et terriblement effrayé par la situation. Pour être plus discret, il vient la chercher à son pensionnat pour l’emmener dans sa garçonnière à Saigon.

Le bruit de la ville est très fort, dans le souvenir il est le son d’un film mis trop haut, qui assourdit. Je me souviens bien, la chambre est sombre, on ne parle pas, elle est entourée du vacarme continu de la ville, embarquée dans la ville, dans le train de la ville. Il n’y a pas de vitres aux fenêtres, il y a des stores et des persiennes. Sur les stores on voit les ombres des gens qui passent dans le soleil des trottoirs.

Ils ne parlent pas, jamais. D’ailleurs personne ne parle. Que ce soit avec sa mère ou ses frères, rien ne se dit mais tout se sait. L’auteure met d’ailleurs une grande distance avec tous ses proches en les appelant « la mère », « le frère ainé », « le petit frère » ou encore « le chinois ». On ne connait jamais les prénoms. Une façon de mettre une distance avec eux, elle devient spectatrice de sa propre histoire. Ou encore pour son amie Hélène, elle la présentera toujours avec son nom entier Hélène Lagonelle. Alors que pourtant on sent une intimité forte entre les deux jeunes filles mais il y a toujours cette barrière dans la façon dont la narratrice parle des ces personnes. Elle utilise même la troisième personne pour parler d’elle-même. Et assez surprenant, elle varie entre la première et la troisième personne, parfois dans le même paragraphe.

Jamais bonjour, bonsoir, bonne année. Jamais merci. Jamais parler. Jamais besoin de parler. Tout reste, muet, loin. C’est une famille de pierre, pétrifiée dans une épaisseur sans accès aucun. Chaque jour nous essayons de nous tuer, de tuer. (…) Le mot conversation est banni. Je crois que c’est celui qui dit ici le mieux la honte et l’orgueil.

La honte et l’orgueil. C’est exactement le problème de cette famille. Ils sont pauvres suite à des échecs d’investissements financiers mais il ne faut rien laisser transparaitre. La folie émane de cette famille. Que ce soit la mère, par certains de ses comportements ou le frère ainée qui dérobe tout, qui vole dans les armoires, qui vend les meubles, l’hypothèque de la maison, tout, pour combler ses pertes aux jeux. Un voyou des familles. Ses problèmes sont connus et personne ne réagit dans la famille, comme blasé.

On ressent en lisant ce livre une beauté dans l’écriture et dans le cadre, et en même temps un certain malaise concernant cette relation entre l’amant et la jeune fille qui est en plus désignée à plusieurs reprises comme l’enfant. L’enfant blanche. De douze ans son ainé, il la déshabille, la lave, joue avec comme avec une poupée. Mais c’est aussi ce qu’elle pense aimer, elle pense l’aimer.

Une prose magnifique. J’ai grandement apprécié me retrouver en Asie, le temps d’un soir.

L’Amant, de Marguerite Duras, Les éditions de Minuit, 137 pages, 12,50€.

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